Études des éléments constructifs d’un chalet d’alpage aux Avanchers Valmorel, Tarentaise

Le “choué” ou aire à battre.

Dans le cadre du projet de restauration d’un chalet d’alpage de Tarentaise ou plus précisément, une Montagnettes située sur les hauteurs des Avanchers Valmorel (bâti d’estive jalon entre le village et les haut pâturages) , nous nous proposons d’étudier ici, un à un ses élément d’architecture ou constructif. Nous débuterons par l’aire à battre ou “l’choué” ou “Chwé”, en présentant le contexte, l’usage et le système constructif.

Contexte

Jusqu’au XXème siècle, la principale activité économique de la vallée était l’exploitation des riches prairies et pâturages d’altitudes et ce principalement pour la production du Beaufort. Toutefois, chaque famille devait satisfaire ses besoins propres malgré le climat rigoureux. Ainsi au cœur des villages on entretenait des potagers et des arbres fruitiers profitant d’une sorte de « microclimat », en tout cas relativement abrité des rudesses de l’hiver. Autour des villages, jusqu’aux premières pâtures à proximité des « Montagnette », on cultivait les céréales et les pommes de terre et le fourrage pour l’hiver. Parmi les céréales, le Seigle a la part belle ; très résistant, il pousse jusqu’à 2100m d’altitude et en plus de fournir le grain, ses longues tiges permettent de couvrir les toits (chaume), en gardant la chaleur, ou la vannerie.

Les Montagnette sont un outil important de cette activité agricole de montagne. Comme nous le disions plus haut elles se situent entre les hauts pâturages et le village sur le parcours des troupeaux. En effet la montée en alpage « l’emmontagnée » et la descente « démontagnée » s’effectuent par étapes au fur et à mesure de la fonte des neiges dans le premier cas et de l’arrivée de l’hiver dans le second. Ainsi la Montagnette sert de relais ou sont entreposé les outils agricoles, de stockage pour le lait d’été (le “gardait“), d’abris pour les troupeaux et ses gardiens lors des nuits fraiches du printemps et de l’automne, mais aussi de stockage pour le foin, qui est fauché à proximité. On y faisait parfois du fromage, mais surtout, et c’est ce qui nous intéresse dans ce propos, on y battait les céréales.

Plan du premier étage du chalet avec l’organisation de ses différents usages.
© l’Art & la matière

Usage

« Dans certaines granges, sur le premier niveau est installé un plancher, assemblage de planches bien jointoyées (le chwè ), pour former l’aire de battage, au fléau, du seigle, de l’orge, de l’avoine. Le stockage de ces céréales se fait, dans ce cas, à proximité. […] Pour obtenir le grain ( lou gran ), les gerbes, stockées à proximité, seront battues au fléau (fleyo ) sur un plancher spécial de la grange ( le chwè ). Ce battage, à un ou plusieurs, s’entreprend en automne ou loin dans l’hiver, au fur et à mesure de la consommation. »

(Robert Aspord, Cahier d’une Famille de Tarentaise en Savoie)

« Pour dépiquer on confectionne de petites bottes lé strapuch que l’on place autour de l’aire à battre en les faisant porter sur les planches qui la délimitent. On fait un tour la batuel , en battant avec le fléau, on retourne les bottes et on fait encore deux tours pour faire sortir tout le grain. Le battage s’effectue à deux ou trois personnes et on bat par petites quantités, tôt le matin ou le soir quand les travaux agricoles sont terminés. »

(Gerard collomb, techniques agricoles en zone de montagne, l’exemple du Beaufortain, Savoie)
Pierre Toulgouat (1901-1992), Saint-Sorlin-d’Arves (1938) – Battage du seigle au fléau
© Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée
Pierre Toulgouat (1901-1992), Saint-Sorlin-d’Arves (1938) – Battage du seigle au fléau
© Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée
Fléau Savoyard (Avant Pays) avec son battant en Buis, collection personnelle.

Le système constructif

De même essence, (Epicéa), le « choué » fait partie intégrante du bâti ; dans la partie grange, juste au-dessus de l’étable, devant une double porte il se distingue clairement du reste du plancher par sa technique et un niveau légèrement inférieur bien bordé à chaque cotés.

L’intérieur de la grange , dans son état actuel, nous avons surligné l’aire à battre.

Le support est constitué de trois solives équarris à la hache qui supportent à la fois l’aire de battage et l’aire de stockage. Sur la partie « aire à battre » les deux solives latérales sont rainurées, pratiquement à mi-hauteur, et la solive centrale est entaillée sur toute sa largeur à l’alignement des rainures de ses voisines.

La mise en place du plancher dans les deux rainures latérales posait un problème technique qui a été résolu en pratiquant une réservation dans une des solives latérales, permettant l’insertion des planches, une à une, après la pose des trois solives avec le bon espacement.

Le plancher est bordé latéralement par le haut des solives (la partie restante, au-dessus des rainures) et aux autres extrémités par des planches posées sur chant maintenues par des tenons dans les rainures.

Le “choué” dans son état actuel. On voit bien l’ouverture qui permet l’insertion des planches et, à droite celle pour l’insertion des coins.
La planche sur chant, qui borde le “choué”, à une de ses extrémités, avec ses tenons
Une vue du dessous. Au premier plan, on peux voir l’emplacement pour l’insertion des coins

La bonne jointure des planches est assurée par l’insertion de coins à l’arrière des planches du bords qui à la manière du cerclage d’un tonneau, comprime les planches entre elles. Quelques cales permettent aux planches moins épaisse de plaquer dans le haut de la rainure et ainsi laisser le moins d’ouverture possible ou l’on pourrait perdre du grain.

Certaine planches sont chevillées, surement pour s’assurer qu’elle s’aligne à la suivante.
Démontage du plancher pour sa restauration.

Nous ne savons pas si le plancher était “détendu” après chaque utilisation, toujours est il que s’il venait à se distendre, il suffisait de retaper sur les coins pour resserrer les planches entre elles.

Les grains dépiqués sont rassemblés sur l’aire à battre, la paille rangée dans un coin de la grange, la “hâce” et le vannage commence. […] après le vannage, le grain est rassemblé dans des sacs de toiles s’il n’est pas parfaitement sec, et on le laisse sécher quelques temps avant de le mettre dans les coffres du grenier, petit bâtiment en bois construit près des habitations.

(Gerard collomb, techniques agricoles en zone de montagne, l’exemple du Beaufortain, Savoie)

Conclusion

Les pratiques agricoles ont beaucoup évoluées depuis la seconde moitié du XXème siècle, on ne cultive plus ou très peu de céréales à ces altitudes. Les habitants des vallées reculées n’ont plus la nécessité de produire leur propre subsistance et la mécanisation et l’augmentation de la taille des exploitations à conduit, peu à peu, à l’abandon de ces chalets.

Ces chalets retrouvent, quelques fois un nouvel usage, touristique ou de résidence secondaire, mais il est rare que lors des restaurations on conserve l’intégrité du bâti, or si l’on ne bat plus le grain au fléau, il ne reste pas moins que ce système de plancher “sans clou ni vis” très ingénieux peut être réemployé, amélioré, modifié à destination de nouveaux usages. Il en est de même pour la plupart des éléments constructifs et techniques employés.

En somme nous pouvons considérer le chalet ,sur un territoire donné, comme ayant son propre alphabet; pour un nouvel usage, on agence les lettres différemment mais on ne change pas d’alphabet. Ainsi on garde une cohérence, une continuité avec l’histoire de ce bâti en en pérennisant des techniques qui favoriserons sa lecture dans le futur.

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