Construire en bois vert

Taillis de Châtaignier St Martin de Vaulserre 38

Il y a des mythes qui ont la vie dure ; construire en bois sec en est un tenace qui devient aujourd’hui réalité, puisqu’il encourage l’hyper mécanisation du métier, la standardisation et facilite la pose d’éléments préfabriqués et kits en tout genres. Pourtant depuis la nuit des temps la charpente se travail surtout en « bois vert » ou « ressuyé ». L’évolution même de la charpenterie en Europe aux cours des siècles, s’est faite sur l’utilisation du bois vert.

Si la solidité des constructions anciennes est indéniables (preuve en est, leur longévité qui se compte souvent en siècles…) Elles utilisaient toutes les capacités d’un système ou d’un matériau, tant sa souplesse que sa rigidité ; un mur en pierre est avant tout un savant système d’assemblages mécaniques ; on ne mise pas tout sur le mortier et le mur conserve une souplesse remarquable tout en jouant son rôle structurel. Pour la charpente on retrouve la même logique ; c’est un système constructif complexe, ou chaque liaison, chaque élément constitutif répond a des contraintes structurelles tout en anticipant la vie du matériau sur le long terme. Ainsi la mise en œuvre laisse respirer le bois en évitant son pourrissement (cas fixation dans la maçonnerie) les fléchissements sur le long terme sont limités par des pièces de renfort, le système prends en compte les déformations du bois futur (raide, fléchissement, vrille, durcissement etc) et soit les contraints soit les exploites comme des qualités. Les systèmes constructifs sont basés sur les propriétés du bois et son très faible retrait longitudinal (en séchant une pièce de bois ne perd pas en longueur ; on fait bien des règles en bois…) Les assemblages et la « tire » accompagnent les mouvements futurs du bois. Le poids et la forme du toit réduisent la prise au vent, la taille des sections offre une protection au feu efficace etc. Ainsi la charpente respire, peut bouger selon les aléas du temps et toujours dans un souci de préserver de la souplesse, la charpente n’est pas ancrée dans la maçonnerie, mais posé via des sablières. En couverture ; on utilise des bardeaux, de la chaume ou plus tard des petites tuiles ou ardoises qui, à la manière des écailles de poissons accompagnent les mouvements de structure sans perdre leur rôle.

Le bois vert est rapidement disponible, abattu l’hiver, les bois sont équarris aussitôt sur site, facile à travailler, on garde l’affutage plus longtemps. Une fois débité, les bois se transportent facilement et il perd sa sève ou « eau libre » plus rapidement. En montagne il est souvent plus simple de descendre les bois en aménageant de véritables toboggans afin de le travailler dans les plaines. Pour débiter les bois, en charpente préindustrielle, il y a trois moyens principaux ;

-La fente ; très utilisé jusqu’au moyen âge, cette technique se restreint peu à peu à des ouvrages spécifiques : merrain de tonneau, sabots, bardeaux etc. .
-L’équarrissage à la hache ; la plus utilisé pour débiter les sections de charpentes
-la scie (mue par des hommes, l’eau ou le vent) généralement utilisé pour faire des planches ou des pièces de menuiserie.

Si la longévité des charpentes taillées en bois vert ne fait aucun doute, il est parfois difficile de retrouver les conditions de mise en œuvre traditionnelles ; la nature est par essence changeante et dans un milieu anthropisé son évolution est liée à l’activité humaine. Ainsi en étudiant les Chênes utilisés dans les constructions médiévales encore en place aujourd’hui, on a pu se rendre compte qu’ils différaient sensiblement des chênes plus récents : « égalité de grosseur d’un bout à l’autre des pièces, peu d’aubier, tissu poreux, soyeux, fil droit, absence presque totale de nœuds, de gerçures, rigidité, égalité de couleur au cœur et à la surface ; couches concentriques fines et égales, légèreté (ce qui tient probablement à leur sécheresse). Il est certain que l’on possédait encore au moyen âge et jusqu’au XVIIe siècle, dans nos forêts, une essence de chênes parfaitement droits, égaux de la base aux branches supérieures, et très-élevés quoique d’un diamètre assez faible. Ces chênes, qui semblaient poussés pour faire de la charpente, n’avaient pas besoin d’être refendus à la scie pour faire des entraits, des arbalétriers, des poinçons ; on se contentait de les équarrir avec soin ; n’étant pas refendus, et le cœur n’étant pas ainsi mis à découvert, ils étaient moins sujets à se gercer, à se tourmenter, et conservaient leur force naturelle » (Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Viollet Le Duc), ce que confirment les travaux plus récent de Fréderic Epaud.cf (L’Évolution des techniques et des structures de charpenterie du xe au xiiie siècle en Normandie. Une approche des charpentes par l’archéologie du bâti, thèse de doctorat d’histoire, Université de Rouen, 14 décembre 2002) https://pufr-editions.fr/auteur/frederic-epaud/

En effet les forets médiévales sont très denses, recevant peu de lumière les bois croissent lentement en diamètre (1mm par an pour le Chêne), mais prennent rapidement de la hauteur; avec peu d’aubier, droits de fil, ils sont d’une homogénéité et d’une stabilité remarquables, peu sujets aux pathologies et déformations habituels, ils ont un rendement dépassant les 500 Chênes à l’hectare (la sylviculture moderne fait des coupes régulières pour privilégier 60 à 80 gros chênes à l’hectare.).

Taillis de Châtaignier à St Martin de Vaulserre (38)

Le contexte économique ne favorise pas non plus une gestion raisonnée des forets ; un forestier ne peut généralement pas limiter son activité aux périodes propices d’abattage (saisons, lunaisons etc.) et encore moins envisager le développement d’une forêt sur plusieurs générations.

Si les sujets droits, à grand fut et à gros diamètres sont privilégiés aujourd’hui, c’est qu’ils ont un rendement supérieur pour un débit scié. Tout les autres sujets finissent en bois de chauffage (plaquette, granules, buches etc).

Le bois scié, raboté, est plus simple à mettre en œuvre avec des moyens mécanisé et les charpentes sont de plus en plus souvent taillées par commande numériques.

Malgré tout, le bois reste un matériaux vivant, s’il perd jusqu’à 90 % de son eau, il adopte l’hygrométrie ambiante et ses variations, ainsi il est toujours en train de travailler, mais voilà, un matériau complexe à modéliser rebute l’industrie et les régiments de rond de cuir qui rêvent d’un monde normé ou tout se calcul au millimètre près. En bout de course, on se retrouve avec du bois de Norvège traité, débité en petite section, puis recollé pour en faire des plus grosse (lamellé collé, contrecollé etc.) bien plus homogène et facile à calculer, et entre deux, on perd le savoir faire des artisans locaux, on multiplie les intermédiaires, et on perd ce qui fait un terroir, une culture, un pays.

Si beaucoup de charpentier travaillent encore avec du bois vert ou ressuyé, scié localement, l’équarrissage manuel peut valoriser des bois tordus, jeunes ou peu accessible en assurant une durabilité et un caractère hors du commun à l’ouvrage.

Enfin le bois est une ressource abondante et renouvelable, 100% recyclable et les enjeux écologiques actuels favorisent l’émergence de filières locales responsables et peu mécanisées, permettant un approvisionnement en bois d’œuvre de qualité, il se développe même des labels comme « bois de lune Jurasciage » soucieux des périodes optimales d’abattage.

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